mardi 13 août 2024

A Japanese Life Story - A Story of Yonosuke (2013)

A Story of Yonosuke se regarde comme on feuillette un album photos remplis de souvenirs instantanément figés. Souvenirs d’une rencontre oubliée, d’un ami passé ou d’une journée ensoleillée. Yokomichi Yonosuke, qui déjà par son nom fait sourire tout ceux qu’il croise, est une bouffée d’air frais et le personnage central d'une nouvelle vie. Fraîchement débarqué à Tokyo d’une petite bourgade de Nagasaki, le jeune étudiant, malgré ses maladresses, n’a aucun mal à se faire des amis. Sa naïveté et sa bonne humeur apprivoisent les plus réticents. En défiant les règles sociales tacites dont il n’a pas conscience, il marque ses rencontres par sa gaucherie et ça le rend immédiatement sympathique. Yonosuke-san entre dans la vie de personnages divers en créant une toile invisible entre les êtres qu’il a connu. Par un sourire ou sur un malentendu, les liens se forment et la vie file entre amitiés naissantes, amours maladroits, baisers hésitants et esquisses sur la neige... Yonosuke-kun est un gars ordinaire, tellement ordinaire qu’il en devient drôle et attachant. Être ordinaire n’est toutefois pas être sans importance, car ce sont tout simplement nos rencontres qui nous construisent et nous définissent. Un moment partagé ou une parole décisive peuvent influencer le cours d’une vie et façonner nos destins. Yonosuke-chan aura bêtement su offrir des souvenirs précieux à ceux qui ont croisé sa route, n’est-ce pas là le meilleur but de notre existence.

A Story of Yonosuke est basé sur un roman de Shuichi Yoshida (Yokomichi Yonosuke), et le cinéaste Shûichi Okita réussit une fluidité narrative qui nous trimballe sans effort entre les années 80 et ses préoccupations d’étudiants, et de subtils flashforwards nostalgiques. Le film, comme son personnage principal brillamment incarné par Kōra Kengo, est une ode à la vie et au présent. Une arabesque dessinée par les lignes qui nous lient les uns aux autres, entre passé et présent, entre souvenirs et maintenant, dans l’espace et le temps. Un carpe diem nippon qui se conclue par cette chanson explicite de Asian Kung-Fu Generation : "Ima wo Ikite" (Living in the Now)".

A Story of Yonosuke, c'est l'histoire d'un mec, les moments d'une vie, les souvenirs d'un monde.



jeudi 25 juillet 2024

Auprès de moi toujours - Let's Scare Jessica to Death (1971)

Enveloppée par la brume vaporeuse, Jessica se laisse emporter par les flots, sur ce lac qui reflète à jamais ses visions aliénantes. Enfin seule, enfin libre…

Let's Scare Jessica to Death, malgré son affiche qui attire malhonnêtement le chaland, est une petite pépite assez méconnue du cinéma de genre sorti au début des années 70s. Le film met en scène un trio d'amis, dont Jessica qui vient de sortir d'une institution psychiatrique, qui quittent la ville pour s'installer dans une maison rurale pour récupérer. On sentira dès le départ la menace extérieure des habitants de cette petite ville, peu enthousiastes par la venue de ce groupe de hippies. La belle réussite du film est l'utilisation d'une narratrice non fiable très convaincante (Zohra Lampert) qui nous fait valser entre aliénation et réalité sans aucune séparation distincte. La fragilité psychologique de Jessica laisse planer le doute sur tout ce qu’elle voit ou ressent, et nous, spectateurs, sommes aussi déstabilisés qu’elle. Un point de vue subjectif qui finalement libère Jessica de sa condition sous contrôle de l’homme, en l'occurrence de son mari. En même temps, cette condition l'enferme dans sa peur d'être internée à nouveau, n'osant pas parler de ce qu'elle voit ou entend. C’est par l’arrivée d’une présence vampirique qui attire autant qu’elle inquiète, une Carmilla des temps modernes, que le monde de Jessica sombre de plus en plus dans un tourbillon de visions, illusoires ou pas.

Le film arrive à maintenir une tension constante et à faire monter l'angoisse dans des scènes mémorables, particulièrement celles du lac, en ce demandant si la menace est réelle ou pas. La perte de pied de Jessica est de plus en plus profonde jusqu’à la catharsis finale. Un très belle fin qui nous laisse voguer dans nos propres interprétations. La cinématographie n’est certes pas parfaite, gardant à l'esprit que c'est le premier long-métrage de son réalisateur John Hancock, mais il s’en dégage une forte atmosphère digne d’un bon film d’épouvante classique, utilisant au mieux des dispositifs connus du genre: la maison isolée et habitée de souvenirs du passé (le grenier et ses reliques), le lac aux reflets hostiles, les voisins chelous,… En plus d’une ambiance sonore parfaitement adéquate. Let's Scare Jessica to Death est une bonne petite surprise qui s’appuie sur la détresse psychologique de sa protagoniste et distille une étrange aura qui laissera certainement des cicatrices marquées, illusoires ou pas.

"I sit here and I can't believe that it happened. And yet I have to believe it. Dreams or nightmares? Madness or sanity? I don't know which is which."

mardi 9 juillet 2024

Couleurs Nouvelles Pour Temps Errant - Alcest

En ce printemps émeraude
Où le temps n’existe pas,
Les souvenirs d’un autre monde
Animent les espoirs d’un autre temps;
Là où naissent les couleurs nouvelles,
Entre les iris et le ciel errant,
Les percées de lumière
Se reflètent sur les écailles de lune,
Et sur l’océan couleur de fer,
Jusqu’aux fonds des abysses.
Ces voyages de l’âme nous sauvent
Et les voix sereines nous protègent,
Jusqu’à l’opale délivrance,
Terre de l’éternelle jeunesse.
Sur l’autre rive je t’attendrai
Même si je suis d’ailleurs;
Dans ces jardins de minuit,
La nuit marche avec moi.
Notre sang et nos pensées
Nourrissent l’éveil des muses;
La caresse du miroir nous appelle,
Car nous sommes l'Émeraude.

Petit hommage personnel à Alcest qui m’accompagne souvent dans mes errances en tout temps. Entre un blackgaze aux couleurs pâles et la voix éthérée de Neige qui devient parfois cri plongeant dans les confins du black metal, Alcest offre un univers hors d’ici, dans un ailleurs aérien et poétique.

N.B.: titres de chansons en italique


Le Crépuscule du Chanbara - Le Samouraï du crépuscule (2002)

Du samouraï loyal au samouraï sans honneur, le sujet a connu moultes illustrations cinématographiques. Dans sa trilogie du samouraï, inspirée de nouvelles de l’ère Edo par Fujisawa Shūhei, Yamada Yōji conte le samouraï dans la simplicité et la lenteur (Le Samouraï du Crépuscule, La Servante et le Samouraï, Love and Honor). Tasogare Seibei ou Le samouraï du crépuscule, en ouverture de cette trilogie, charme par sa beauté visuelle sobre et efficace et son combat intérieur entre doutes et sentiments. Une tranche de vie qui dépeint le drame de la pauvreté à la fin d’une ère et les derniers souffles d’un système féodal qui veut résister au changement.

The Sound of Silence

Débraillé, non rasé et pas lavé, Seibei vient d’enterrer sa femme tuberculeuse et ne vit que pour s’occuper de ses filles et de sa mère sénile. Il veut le meilleur pour cette nouvelle génération qu’il encourage à appendre pour ne plus être à la merci des hommes, des castes,… Une vie tranquille, sans besoin de se battre pour l’honneur, de montrer sa force au sabre et de périr pour un clan.

Au crépuscule, un homme

Une étincelle du passé, une liberté arrachée. Pour les yeux de Tomoe, il fallait reprendre la lame oubliée. La rivière coule, les regrets se diluent dans les heures de la fin du jour. Le samouraï infortuné se retrouve une fois encore dans un conflit qu’il ne veut pas pour un honneur qui le dépasse. Finalement, le devoir aura raison et le sang coulera entre les lattes en bois, sans sensations.

À l’aube d’une vie nouvelle

Sous son voile réaliste, Tasogare Seibei réussit le récit d’un drame humain et humaniste. Avec sa jolie musique qui accompagne parfaitement l'acteur Hiroyuki Sanada dans sa partition élégante, le samouraï renaît de ses cendres pour enfin disparaître avec l’esprit divin du vent.

Le Samouraï du Crépuscule est un classique après l’heure qui raconte, comme autrefois, les tribulations des guerriers du Bushido. Une force tranquille enveloppée dans la poésie esthétique du Pays du Soleil Levant. Arigato !

"A serious fight, the killing of a man, requires animal ferocity and calm disregard for one's own life. I have neither of those within me now." 

lundi 18 mars 2024

Trip in Ethereal Sky - Esther (AntiMonos - 2021)

Ok, on a là une petite merveille musicale et il me fallait absolument partager ce plaisir. AntiMonos, c’est un gars du sud de la France, musicien et producteur autodidacte qui s’est forgé au sound design et autres expérimentations sonores, cultivant ainsi son talent pour l’ambient music.

En 2018, il sort un premier EP, In Utera, et délivre une première géniture électronique qui nous enveloppe dans son ambiance captivante, sous des lumières réverbérantes. Le Red Canopy de départ est à lui tout seul une visite du temple AntiMonos, et la conclusion de l’opus sur le titre éponyme, In Utera, est une porte ouverte sur le futur brillant du musicien. Un an plus tard, l’EP sera mis entre les mains de la crème du beatmaking français pour une version Remixes qui décoiffe. C’est tellement beau de ressentir toute l’harmonie qui peut exister entre différents artistes talentueux pour transformer ces morceaux en bulles de créativité. Une enveloppe hétéroclite qui contient la touche de chacun, sous l’attention du chef d’orchestre AntiMonos qui réussit à garder tout cela cohérent. Pour mon grand plaisir, entre autres, Hadean Ships à la sauce Cyesm.

Puis en 2021, AntiMonos nous gratifie de cet Esther bleuté, couleur de voyage céleste. L’intro ouvre la porte sur un un jardin secret : Shelter qui de prime abord parait presque inquiétant, juste le temps de respirer un bon coup et d'avaler une grosse taffe avant de se laisser complètement emporter dans le Blue Garden. Des arbres qui dansent, un vent qui chante, un souffle de vie. Loin de la foule déchaînée, dans un refuge lointain, la nuit tombe enfin, les cigales murmurent et les battements rituels des Cicadas partagent leur joie enchanteresse. Suspendu dans le temps et l’espace, hypnotisé par Yellow Dots, rien ne peut nous atteindre sur ce chemin sans fin. Et le voyage continue à travers le Passage A, lueurs éblouissantes électroniquement magiques, accompagnant notre errance astrale jusqu’à cette Nebulae qui nous ouvre grand ses bras. Accueillante atmosphère aux poussières ondoyantes. L’univers est infini, le cœur en apesanteur, une étoile est née.

Laissez-vous donc embarquer et bon voyage !
AntiMonos: https://antimonos.bandcamp.com/
(Se trouve aussi sur Spotify)


dimanche 24 décembre 2023

À canaille, canaille et demie - Le Bon, la Brute et le Truand (1966)

The Good
Il était grand et blond
Cigare au bec, lueur dans l’œil
Le mystère plane sur ce bandit sans nom

The Bad
Il était brun et vil
Un poil sadiques, ces yeux d’ange
L’odeur du sang émane d’un cœur fébrile

The Ugly
Il était petit et fourbe
Un brin vicieux sous ses airs d’idiot
Ses mains exhalent les relents de la tourbe

Pour conclure sa trilogie du dollar, le Maestro Sergio Leone orchestre une épopée sombre et pessimiste et crée des personnages grandioses et immortels. Trois bougres égoïstes qu’un seul objectif réunit (dans diverses combinaisons) vont traverser des morts presque certaines, en plus des horreurs de la guerre qui élèvent le niveau de violence, et tout cela dans des décors inoubliables. Une route tortueuse et pleine de rebondissements va finalement mener à un tribellum que les mémoires ne peuvent négliger. Tout dans cette scène est un signe de génie cinématographique.

À la fois beau, triste et jubilatoire, le film gardera toujours une aura de chef-d’œuvre absolu, influençant ainsi d'innombrables cinéastes jusqu'à aujourd'hui. Il a pour moi un statut particulier: à chaque visionnage j’en ressors secouée, et des souvenirs de mon enfance y sont rattachés. La maîtrise de Leone ressort de toute sa splendeur dans des plans à couper le souffle, une créativité puissante et une profondeur qui imprègne la pellicule. Et tout cela ne pourrait être séparé de la musique d'Ennio Morricone qui colle à chaque image forte et qui résonne toujours autant dans nos cœurs.

Ainsi, au milieu de ce Sad Hill aux multiples tombes, les regards s'affrontent sans un mot...
Blondie retrouvera son poncho,
Angel Eyes recevera ce qu’il mérite,
Et Tuco aura toujours le meilleur mot de la fin:
“You know what you are? Just a dirty son-of-a-beeeeeeeeeeeeeeeeeeeh !”

Cauchemars, oh ! En couleurs - Mononoke (2007)

Pour parler de cette série, il faut d’abord revenir sur Ayakashi : Japanese Classic Horror, sorti en 2006. Cette anthologie, en trois arcs indépendants (et réalisateurs différents), nous racontait des histoires issues du folklore japonais. Le succès du dernier arc "Bakeneko" lui a valu la production d’un spin-off, qui sera donc : Mononoke.

En effet, la série ne manque pas d’originalité. Tout d’abord par son personnage principal, l’apothicaire (le kusuriuri), dont on ne sait pas grand-chose à part qu’il consacre sa vie à chasser les mononoke (synonyme de yōkai), sorte d’esprits vengeurs qui hantent notre monde. Ce héro mutique qui parle en syllabes n’a même pas de nom, mais ce qu’il dit est toujours pertinent. Cependant, ce qui frappe en premier lieu dans cet anime, c’est son design et son univers visuel incomparable. Une belle claque esthétique ! Les images s’inspirent en grande partie des estampes japonaises (ukiyo-e) pour retranscrire le côté historique de ces croyances populaires. De fait, les décors sont superbes et une explosion de couleurs chatouille nos rétines. Les superpositions d’images et les expérimentations graphiques se marient à merveille avec un aspect artistique indéniable, influencé notamment par Klimt et les classiques du kabuki. Il faut peut-être un peu de temps pour entrer dans l’univers de Mononoke, mais quand on y est tout devient merveilleux. Malgré l’ambiance sombre des histoires qui nous sont contées (en cinq arcs indépendants), la série nous plonge dans des fables fantastiques qui transmettent un pan de la culture nippone. Quelques petites touches d’humour parsemées ici et là dans cet univers horrifique parviennent tout de même à alléger l’atmosphère.

Il faut avouer que les tableaux qui sont dépeints dans Mononoke ne sont pas très gais. C’est pourtant un vrai plaisir que de suivre le déroulement de chaque histoire pour en découvrir la Forme (Katachi), la Vérité (Makoto) et la Raison (Kotowari) dont l’apothicaire a besoin pour purifier les mononoke. On se laisse entraîner par une réalisation excellente et une animation exceptionnelle dans cet hommage aux tragédies qui peuplent la mythologie japonaise. Si l’on est un minimum intéressé par cette culture, l’anime est un régal culturel à l'ambiance sublime. Principalement à travers la période Edo, le voyage vaut vraiment le détour : que ce soit dans l’auberge de "Zashiki-warashi", sur le bateau de "Umibōzu", avec les illusions masquées de "Noppera-bō" ou dans le train de "Bakeneko". Mais mon préféré est sans conteste la maison d’encens (fuenokouji) de "Nue" qui offre une ambiance terne et grisâtre tout en prenant des couleurs vives à des moments précis, pour des sensations visuelles captivantes. En prime, le charisme de l’apothicaire habite chacune de ses apparitions et le mystère qui plane sur lui crée certes une certaine frustration, mais je pense que c’est par conséquent l’histoire des mononoke qui est ici importante. Le montage un peu farfelu peut parfois se révéler déroutant, mais on ne perd jamais le fil de l’histoire, aidé par des flash-back réussis qui lèvent le voile, en général, sur les raisons de la "malédiction".

Je dois admettre que j’ai eu un peu de mal au début avec l’arc original de Ayakashi, mais à la fin de l’épisode j’en voulais encore de cet univers multicolore qui aura tendance à secouer ce qu’on connait du monde de l’animation. Mononoke est une œuvre petite expérimentale qui mérite d’être connue. Une expérience unique !